Quique Dacosta a toujours travaillé les riz. Son engagement envers cet ingrédient et la cuisine d’Alicante est tel, qu’il a même écrit un livre conséquent en la matière (Arroces contemporáneos – Riz contemporains). Fruit d’un long processus de recherches, qui dépassent les aspects purement culinaires, cet ouvrage jette une infinité de lumières sur ladite céréale. Paradoxalement, c’est après avoir terminé cette œuvre perspicace qu’arrive le meilleur : une recette audacieuse qui n’est pas reprise dans l’étude et qui apporte des contrastes sophistiqués inspirés de la graminée, neutralisante, absorbante, qui constituent une rupture de la tradition culinaire espagnole. Il s’agit de sensations fortes qui viennent harmonieusement pétiller autour d’un ingrédient principal qui conserve toute son identité, en toute naturalité. Quique semble avoir assimilé et donné sa propre griffe aux risottos préparés par certaines éminences de la cuisine italienne telles que Carlo Cracco, Massimiliano Alajmo, Paolo Lopriore, etc. Il faut dire qu’à la pureté gustative et tactile du riz viennent s’ajouter des saveurs exclusives dotées d’un caractère manifeste. Ici, le convive est particulièrement frappé par la confrontation gustative entre la fumaison, personnifiée par l’anguille, et l’acidité des cerises fraîches. Et c’est là que se situe toute la magie, obtenue, nous insistons, sans la moindre dénaturalisation du sujet principal. Et en prime, l’émotion que suppose ce contraste entre l’anguille et les bigarreaux se voit renforcée par un parfum intense de romarin ainsi que par des morceaux traditionnels de seiche, tranquillisants, élaborés au gré de la saison, conformément à la pratique de Quique Dacosta, l’un des artistes culinaires les plus importants de la planète.
Le plat de riz le plus réussi de la haute cuisine espagnole, sans aucun doute.
La Ricetta
Riz Senia gélifié dans un bouillon d’anguille fraîche fumée à l’infusion de romarin et billes de cerises de la Vallée d’Ebo.
Ingrédients
Pour le bouillon de riz aux anguilles fumées :
- 6 gousses d’ail violet non pelées
- 900 g de jeunes oignons
- 500 g de carottes
- 500 g de blanc de poireaux
- 600 g d’aloe vera (sans aloïne).
- 6 g de Totrry
- 4 kg d’anguilles fraîches éviscérées, saignées et morcelées
- 4 kg d’anguilles fraîches fumées à la maison
- 2 kg de pois chiches secs.
- 40 l d’eau minérale
- Q.S. de sel
- Q.S. de grains de poivre noir
- 2 brins de romarin sauvage
HUILE D’OLIVE AU ROMARIN :
- 2 l d’huile d’olive vierge, douce
- 1 l d’huile de pépins de raisin
- 300 g de romarin sauvage
POUR LES BILLES DE CERISES :
- 1 kg de pulpe de bigarreaux
- 30 g de sucre
- 12 g d’aloe vera en poudre
- Huile de romarin
ÉTAPES DE L’ÉLABORATION DU RIZ :
POUR LE RIZ TENDRE NOISETTE :
- 2 kg de beurre noisette
- 2 kg d’oignons tendres coupés en fines lamelles régulières
SEICHE :
- 1 seiche fraîche de la Méditerranée d’environ 500 g.
ÉLABORATION DU RIZ :
1RE PHASE DE LA CUISSON DU RIZ
- 60 g d’oignons noisette
- 250 g de riz Senia
- 600 g de bouillon d’anguille fumée
- 10 g d’huile d’anguille fumée
- 2E PHASE DE LA CUISSON DU RIZ
- 10 g d’huile d’anguille fumée (en deux parties)
- 30 g de seiche fraîche hachée
- 80 g de riz précuit dans son bouillon
- 60 g de bouillon de la pré-cuisson
AUTRES :
Terminer le dressage en disposant 3 demi-cerises à température ambiante sur le riz, puis quelques pétales de carmin frais.
Élaboration
Pour le bouillon de riz aux anguilles fumées :
Élaboration :
Frire l’anguille fumée et morcelée dans une huile abondante. Une fois bien dorée, retirer et égoutter sur papier absorbant. Répéter l’opération avec l’anguille fraîche, dans la même huile.
Retirer les morceaux, puis dorer les légumes, en commençant par l’ail entier, puis le reste. Une fois le tout doré, poivrer, puis réincorporer les morceaux d’anguilles et les pois chiches préalablement hydratés, et recouvrir avec de l’eau minérale. Porter à ébullition, écumer, et maintenir à feu doux, sans faire bouillir, pendant six heures. Ensuite, intégrer le romarin et laisser infuser. Laisser reposer le tout six heures supplémentaires, puis tamiser.
Rectifier le point de sel, si nécessaire.
HUILE D’OLIVE AU ROMARIN :
Élaboration :
Introduire les ingrédients dans un sachet sous vide et cuire une heure à 80º C. Laisser ensuite reposer six heures emballé sous vide afin de bien absorber l’arôme du romarin et d’obtenir une huile essentielle naturelle.
POUR LES BILLES DE CERISES :
Élaboration :
Décanter la pulpe des cerises. Filtrer à l’étamine, réserver les dépôts (pulpe, peaux) qui sont restés dans l’étamine et y ajouter 500 ml d’eau minérale. Laisser infuser à température ambiante pendant deux heures, puis décanter et filtrer à l’étamine.
On obtiendra ainsi 1 l de pulpe de cerise tamisée, bien cristalline. Séparer 500 g de ce jus de cerise, y mélanger le sucre et l’aloe vera en poudre, puis faire bouillir. Retirer du feu, tiédir et mélanger avec les autres 500 g de jus de cerises.
Quand le mélange est encore tiède, avant qu’il n’adopte une texture mielleuse, transférer dans une seringue afin de faciliter le façonnage des billes, qui sera effectué dans un bain froid d’huile d’olive infusée au romarin.
Laisser les billes refroidir et se coaguler dans le bain d’huile froide pendant 12 minutes.
Retirer et introduire dans un récipient hermétique. Utiliser à température ambiante.
ÉTAPES DE L’ÉLABORATION DU RIZ :
POUR LE RIZ TENDRE NOISETTE :
Élaboration :
Mettre le beurre dans une marmite bien large pour que les oignons soient bien répartis et se pochent régulièrement.
Une fois le beurre bien chaud, intégrer les oignons émincés, que l’on pochera très lentement (3 heures) jusqu’à ce qu’ils soient bien tendres, onctueux et uniformément dorés, comme s’il s’agissait de lard.
Ensuite, à chaud, filtrer le mélange de manière à égoutter tout le beurre noisette et éliminer toute la graisse des oignons. On obtiendra ainsi une saveur d’oignon particulière, sans que la graisse n’alourdisse le riz, préservant de la sorte son caractère frais, méditerranéen et estival.
SEICHE :
Élaboration :
Laver et éviscérer la seiche, puis la couper en petits dés réguliers.
Réserver jusqu’au moment où l’on fait revenir les ingrédients du riz (on ne fait pas revenir le riz en vue d’éviter l’imperméabilisation du grain et de permettre ainsi une meilleure absorption de la saveur que si on le faisait revenir dans un corps gras, auquel cas on créerait une couche externe et une réaction interne qui atténuerait fortement les propriétés naturelles
1RE PHASE DE LA CUISSON DU RIZ
ÉLABORATION DU RIZ :
Faire revenir les oignons noisette dans l’huile. Ajouter ensuite le riz, le mélanger avec les oignons et mouiller avec le bouillon préalablement chauffé. Faire bouillir le tout à grand feu, puis diminuer la flamme. Après 8 minutes
d’ébullition, paralyser la cuisson du riz, filtrer et faire refroidir le riz en réservant le bouillon pour la deuxième partie de la cuisson dont le grain a besoin.
2E PHASE DE LA CUISSON DU RIZ
Il s’agit en fait de la cuisson finale du riz, en fonction du nombre de convives. Attention : ce riz est très complexe sur le plan gustatif et sa structure naturelle requiert qu’il soit servi en petite ration. C’est là que réside une bonne partie de sa magie, dans le dosage correct. Comme ce riz n’est pas proposé à la carte, on comptera 60 g de riz final par personne.
Élaboration finale pour deux personnes :
Dans 5 g d’huile d’anguille fumée, faire revenir la seiche hachée. Ajouter le bouillon, puis introduire le riz dès les premiers signes d’ébullition. Ce riz n’aura plus besoin que de 4 minutes de cuisson pour être à point. Passé ce délai, il ne sera plus cru et aura une douceur très agréable en bouche. En évitera de commettre l’erreur de parler de riz « al dente » en raison de ses
propriétés organoleptiques.
Pendant cette dernière cuisson de 4 minutes, on veillera à remuer continuellement le riz afin de favoriser l’expulsion de solides solubles et de faciliter ainsi l’émulsion naturelle des jus et de la fécule du grain. Au dernier moment, une fois que le riz est presque prêt, ajouter 5 g d’huile d’olive et d’anguille fumée pour terminer l’émulsion en question et réinjecter les arômes fumés de l’anguille qui auraient pu s’évaporer pendant la cuisson.