Nous pouvons témoigner de l’immense enthousiasme qui a toujours distingué Stéphane Carrade. Ainsi que du labeur intellectuel qu’il a effectué en quête de nouvelles voies qui lui ont fait traverser diverses étapes, comme « le terroir progressif », par exemple. Le grand moment qu’il vit aujourd’hui et lui permet d’atteindre cette qualification élevée, synonyme de grand saut qualitatif de son œuvre, est le fruit de tout cet effort. L’évolution se situe principalement au niveau de la maturité d’esprit, de la capacité à proposer des recettes inédites, éloignées de toutes les tendances d’usage. Il ne ressemble à personne. À tel point qu’on a même encore du mal à définir son style. Ce qui est sûr, c’est que ses plats ont une énorme personnalité. Modernes, un peu baroques. Un baroquisme moderne qui reflète une analyse en profondeur et des matérialisations méticuleuses. Chaque construction renferme une multitude de petits ingrédients, préparations, voire garnitures qui proposent mille et une nuances, présentées avec une technique épurée. Côté entrées, on remarquera les contrastes acides et piquants, constants et substantiels, qui réchauffent le palais tout en le rafraîchissant. Pour ce qui est des plats, les élaborations reposent sur des procédés irréprochables qui situent son savoir-faire et sa pratique au niveau de la grande distinction. Infaillible, d’un virtuose absolu. Une grande complexité basée sur des produits célestes, parfois imbattables, servis par ailleurs avec une grande générosité. Un chef d’une éthique exemplaire, d’une noblesse étonnante et d’une exubérance simple et concise, rehaussée d’une touche de génie et d’affection. Chaleur humaine et gustative. Le restaurant propose trois menus au choix à des prix très variés ainsi qu’une carte assez réduite de sept ou huit plats. Par conséquent, on va « Chez Ruffet » pour manger ce que le chef a envie de servir ; une politique qu’il défend fermement : “C’est la meilleure manière de disposer de produits exceptionnels d’une qualité optimale et d’assurer les réalisations. Cela permet également de rationaliser le budget de la maison, d’éviter des pertes de produits et de tirer un maximum de profit de la productivité du travail humain. Cela a des répercussions sur les prix, plus concurrentiels, et sur les résultats, car la concentration de tout ce qui se cuit est absolue”. La cuisine qui, jusqu’il y a peu, était vouée à un public évolué, s’adresse maintenant à des gourmets intellectuels – même si elle est comprise par tous. Même s’ils ne servent qu’à vous faire une petite idée, voici quelques exemples de ce qui vous y attend. Les coquilles Saint-Jacques, excellentes à elles seules, marquées et fumées, assorties d’un ravioli farci de poulet et de son jus, de truffes, de fleurs, de mangue verte en mirepoix au poivron d’Espelette et de mousse de maïs doux au lard constituent une recette magistrale, exubérante, ingénieuse et extrêmement succulente. Dans une même ligne conceptuelle, les langoustines cuites au parfum de fumée accompagnées d’un œuf au hachis de poulet aux épices, d’une chantilly au lait de chèvre et d’un beurre d’orange sanguine au galanga s’avèrent aussi laborieuses et généreuses. La caille, anthologique, proposée saignante et laquée, réellement délicieuse, est d’une concrétion exceptionnelle. Ici, elle n’est servie qu’avec deux compléments : quelques bandelettes d’asperges à la plancha, et un jardin aromatique. Autre mets de viande de haut vol : la côte de veau aux champignons assortie de royale au café, de feuilles de bettes, de rognons… Le top. Et que dire du tournedos d’ananas farci de banane et laqué au sirop