Une Table au Sud

La cuisine de Lionel Lévy, un jeune talent de la nouvelle génération de chefs français émergents qui adhèrent à la rénovation conceptuelle et technique en vogue en Europe, est dotée d’un sacré tempérament. En guise de témoignage de son intrépidité gustative, exprimée avec un équilibre extrême, nous mentionnerons le crumble de bar et rascasse (ou de thon, en été) au gingembre et agrumes – inspiré d’un céviche ou d’un tartare ? –, synonyme de sensations ardentes et complémentaires : des touches acides, piquantes et sucrées qui s’entremêlent avec les poissons, sous différentes textures et une identité propre. Une originalité gustative, formelle et intellectuelle qui se voit confirmée à maintes reprises, comme par exemple au travers des sardines confites à basse température dans de l’huile d’olive qui, proposées sur un lit vivace d’oignons, poivrons, tomate, olives noires et pignons, flanquées de traits rouges de tchoutchouka, une espèce de ketchup, transmettent une chaleur provençale torride. Il faut dire que la norme du chef consiste à allier l’inspiration du paysage local avec un esprit cosmopolite contemporain qui regorge de personnalité ; un défi qu’il relève habituellement haut la main. Son mode de pensée désinhibé, légèrement provocateur, lui permet par ailleurs de réinterpréter l’histoire, comme le prouve son milkshake de « Bouille-Abaisse », une coupe dans laquelle se superposent différentes couches de purée de pomme de terre, de crème d’œuf au mascarpone, de morceaux de rascasse, de bouillon de poissons et d’une mousse éthérée de fruits de mer. Le tout recèle un goût méditerranéen élégant, au sein duquel l’ail s’avère délicatement provocateur, et est accompagné d’un dernier témoignage de succulence stimulant : un rouleau de parmegiano-reggiano servi à part, que le convive peut savourer à son aise, en remplacement du pain grillé que l’on trempe traditionnellement dans le bouillon. Bref, une recréation perspicace, désinvolte, succulente et convaincante de la plus légendaire des recettes provençales. Tel est le style de ce transgresseur mesuré et habile des arômes du Sud, qu’il imprègne d’une fraîcheur émouvante, comme en témoigne le risotto de morue à la pêche blanche au parfum de verveine citron. La force, les contrastes, la complexité, les émotions, la splendeur, la personnalité, l’amour et l’originalité sont au détour de chaque proposition, comme le confirment les fleurs de courgette fumées avec pesto génois et le poisson du jour (daurade royale, par exemple) assorti de courgettes à la niçoise et imprégné de nuances de thym citron. Sans oublier le macaron forêt noire, servi avec de la glace ; réellement gourmand !
La carte, très concrète, propose un menu de dégustation ou le choix (au prix fixe de 52€) entre trois entrées, trois plats et trois desserts, qui changent régulièrement et permettent d’éviter les répétitions.
Lionel Lévy donne une touche de fantaisie au paysage gastronomique provençal, qu’il dote d’une grande richesse de couleurs gustatives et d’une singularité incontestable. Un projet à suivre.