Déclaration d'Intentions
À nos yeux, la presse gastronomique doit reposer sur deux valeurs absolues : la crédibilité et l’indépendance. Il est primordial de se fier à ceux qui écrivent. Viennent ensuite d’autres facteurs essentiels tels que les critères et la ligne de pensée qui distinguent chaque publication. Ces dernières ne doivent pas forcément coïncider sur le plan des goûts ou des idées, du type de culture ou du bagage professionnel. Certains préfèrent le conservatisme et le luxe, tandis que d’autres misons sur un monde en questionnement constant, en évolution –culinaire et sociologique—permanente. Certains conservent le “statut” établi comme norme, alors que d’autres misons sur le dynamisme et les nouvelles générations. Certains pratiquent l’impérialisme culturel français, d’autres se retranchent derrière le populisme hispanique, d’autres encore idolâtrent la “mamma mia” ou placent les personnages et leur œuvre par-dessus toute enclave et influence. Certains souhaitent faire des guides grand public quand d’autres optons pour l’élite. Il y a donc des produits différents répondant à des comportements d’une éthique semblable. Et il existe des livres, des revues, des journaux qui ne sont pas du tout honnêtes, indépendamment de leur niveau de qualité. Les facteurs qui exercent une influence sur le résultat sont par conséquent nombreux.
C’est au lecteur que revient la tâche de juger si une publication exerce l’un ou l’autre type de traitement de faveur, si elle pratique le copinage ; deux péchés capitaux très présents dans ce secteur. Le consommateur doit se fixer pour objectif de savoir le pourquoi de chaque ponctuation : une question de goûts, de critères, de manque de professionnalisme. De nombreux critiques se laissent embobiner, prennent plaisir à se faire duper et reproduisent candidement des sentiments qui répondent à l’attention spéciale dont ils ont fait l’objet. Ne perdons jamais de vue que nous allons être examinés en fonction de nos qualifications et de nos explications. Il arrive parfois que les expériences –et c’est pour cela qu’il faut savoir bien lire les guides, d’un bon ou d’un mauvais oeil—varient pour l’une ou l’autre raison ; deux pigeons ou deux bécasses, par exemple, ne sont jamais identiques et les points de cuisson ne sont jamais exactement aussi précis. Un même plat élaboré avec plus ou moins de brio peut nous emmener dans des mondes très distincts.
Il faut savoir que dans un restaurant côté 8/10, on doit normalement manger d’un niveau 8/10 ; ce qui n’empêche de pouvoir être confronté à une ponctuation allant de 7,5 à 8,25. Les appréciations doivent être considérées comme points de référence, en sachant que c’est l’excellence qui prime. Plus un établissement aura la cote, plus il sera difficile de la ratifier, car il est très complexe de proposer un niveau de virtuosité de 9,5 tous les jours. Et ce, en supposant que le convive se limite aux spécialités de la maison, aux plats recommandés par le journaliste. Ce qui distingue un bon gourmet d’un éternel insatisfait, c’est de savoir quoi demander dans chaque restaurant, à tout moment : c’est simple, mais compliqué à la fois. Par conséquent, même si nous souhaitons faire preuve d’un maximum d’objectivité, nous devons assumer que les circonstances varient et que les gens, au-delà de leur souci de perfection, sont humains.
La presse et les guides remplissent diverses fonctions, dont la première consiste à informer, depuis la découverte de nouveaux restaurants à la recommandation des meilleurs plats de chaque établissement, en passant par l’explication des nouvelles propositions de la carte, etc. Lo Mejor de la Gastronomía prétend par ailleurs avoir un caractère formatif, l’idée étant que chaque texte incite à la réflexion, lance un débat constructif sur le travail de chaque chef. Une autre fonction primordiale de la presse gastronomique consiste à stimuler la concurrence. L’altération des qualifications, à la hausse ou à la baisse, incite les cuisiniers à repousser leurs limites, à lutter en vue de ne pas être relégué par leurs collègues ou de se situer dans le peloton de tête. Le fait de stimuler l’anticonformisme et d’exiger de plus en plus de créativité et de perfection ne peut de toute manière que contribuer à l’édification d’un monde meilleur. Par contre, nous conformer à ce que nous sommes et surestimer ce que nous faisons reviendrait à accepter la fausseté et à perdre notre individualité.