Le Cerf
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- Mozzarela de coco en curry d'encre de seiche
- L'oeuf mou et son cannelloni de caviar en velours de choux fleur
Qu’attendre de la part d’un des plus grands noms de la cuisine suisse ? Une horlogerie de précision. C’est ce qui caractérise, entre autres qualités, la personnalité de Carlo Crisci. Un chef d’un classicisme progressiste qui se distingue par son élégance, sa sagesse, sa précision… bref, par un professionnalisme époustouflant. Un homme raffiné, érudit, un technicien, un styliste qui transmet son identité au gré des plats : l’idée de se surpasser progressivement par rapport au temps. Tout ce qu’il fait et propose est étudié, minutieusement réfléchi, goûté et laborieusement dégusté. Pour le convive, le festin est assuré. Un festin équilibré et admirablement harmonieux. Harmonieux et extrêmement surprenant, d’un savoir-faire à tomber par terre. Une cuisine magistrale empreinte d’une personnalité évidente que l’on apprécie au niveau des conceptions des constructions, de la composition des saveurs, du chromatisme et, bien sûr, d’un don proverbial pour le bon goût. En définitive, nous sommes en présence d’une table éminemment gastronomique destinée à régaler tous les gourmets, indépendamment de leurs prédilections et tendances. Une table qui se situe – et cela a énormément de mérite – au-delà du bien et du mal, au sein de l’excellence.
Carlo Crisci étale sa passion pour les feuilles sauvages dès l’apéritif, avec un premier amuse-bouche composé de cinq types de feuilles magnifiquement disposées. Cet amour est ensuite confirmé par une multitude de sauces, garnitures et ornements, où la nature verte s’exprime en tout équilibre, sans extrémismes ni extravagances. L’originalité réflexive est également palpable au niveau de la composition des éléments déposés sur la vaisselle, dont les formes curieuses viennent influencer le goût et la vue. Il y a donc beaucoup de raisons, très variées, pour tomber sous le charme.
Il est assez difficile de souligner l’un ou l’autre plat, car le virtuose est garanti et l’imagination est omniprésente. Le millefeuille de veau et de lard d’Arnad au tussilage, présenté en couches superposées, d’un rapport gras/maigre extrêmement équilibré, avec des morilles farcies, de la purée de pomme de terre ratte, un glaçage de viande, des aulx confits… s’avère glorieux ; l’un des mets de veau les plus intelligents et les plus réussis dont nous ayons le souvenir. Dans la même ligne de réforme et de perfection historique, on notera le foie gras et ses petits légumes, servi dans une terrine de verre hermétique en vue de préserver l’intensité aromatique des ingrédients et du parfum de cannelle qui l’imprègne. Autre merveille architecturale et gustative : la mosaïque de morue fraîche et tourteau – des triangles de poisson pratiquement crus, farcis au fruit de mer et bordés de lamelles de poireau, déposés à plat sur le dessus de l’élaboration –, accompagnée d’une sauce ultra délicate d’oxalide. La langoustine en forme de tortue, juste tiédie, enrobée dans de fines rondelles d’asperges vertes et blanches et dans des lamelles des deux couleurs, également poêlées, assortie d’un minestrone de légumes et d’une sauce au flouve, constitue une autre édification admirable pour tous les sens. On peut en dire de même des rougets en croûte de lierre terrestre avec matelote de moelle ainsi que de l’infinité de merveilles qui se résument en un mot : Chapeau !