Commençons par les deux festins que nous avons savourés au cours des derniers mois. La quenelle de tourteau à la sauce à l’oignon et au céleri est une véritable ode à la naturalité et à l’exquisité rédigée en toute simplicité. La sépiole poêlée, lisse et immaculée, a plus de mérite : elle est proposée avec une huile de boudin noir émietté, de la pomme et une mousse de roquette ; une composition faite d’audace et de contrastes idylliquement résolus. Les tripes de morue, d’une saveur et d’une texture exceptionnelles, sont les meilleures que nous ayons jamais mangées ; elles sont servies en grands morceaux qui renforcent leurs qualités intrinsèques en compagnie d’un jardin de légumes avec lequel elles ont été cuites en cocotte. La langouste à l’huile de vanille avec haricots verts, poire et noisette s’avère anthologique. Et que dire du point de cuisson du Saint-Pierre, sublime, nettement marqué à la plancha pour rehausser son goût, ingénieusement assorti d’une purée de chou-fleur et d’une escabèche d’ananas et de menthe. Sans oublier le pigeonneau, flanqué d’un gâteau à la pomme de terre, au parmesan et au lard : quelle qualité ! Quelle jutosité ! La dernière agape fut introduite par deux apéritifs intéressants : une langoustine assortie d’éminents petits pois de Llavaneras entremêlés d’oignon, et des cébettes microscopiques extrêmement délicates accompagnées de caviar. Le cannelloni cristallin qui suivit, farci de truffe noire, d’oignon haché poché et de pignons, fut prodigieux : un ensemble parfait au sein duquel tous les éléments s’expriment dans toute leur netteté et leur exquisité. La gorge de porc, proposée avec des lentilles de La Armuña en ragoût, comme le veut la tradition, mais enrichie ici avec de la truffe, déborde de succulence et de caractère gélatineux. Bref, une mangeaille cultivée et distinguée dont l’ingrédient principal est la viande, préparée indépendamment des légumes, auxquels une petite touche de subtilité intellectuelle ne ferait pas de tort. Les poulpes, de la taille de l’ongle du petit doigt, poêlés avec précision et présentés en compagnie de minuscules fèves pelées et d’une quenelle aigre-douce de pomme sont d’une simplicité sublime ; un délice pur et dur. Et pour terminer, trois protagonistes clairement définis, que l’on peut, voire doit manger séparément : le médaillon de lotte servi sur un ragoût d’oreille de porc en présence de lamelles de moelle ; irréprochable. Et, surgelée, mais d’une qualité intrinsèque anthologique, bien grosse, d’une saveur sauvage, d’un point de cuisson et d’une jutosité exubérants : la bécasse, proposée avec une somptueuse mousse élaborée avec ses entrailles et un gâteau à la pomme de terre et au parmegiano-reggiano ; celui-là même qui accompagne le pigeonneau en été. Bref, une carte très, très, très,… Pour le reste, Abel Valverde dirige l’un des meilleurs services de salle d’Espagne.
